En 1840, Jeanne et ses compagnes ne le savaient pas. Mais, déjà, elles rêvaient d’accueillir d’autres misères, d’offrir à d’autres personnes réconfort, sécurité et tendresse. L’argent, Dieu ne le refusait pas. Mais la maison était pleine : elles décidèrent d’en changer.
En effet, en 1841, comme le nombre des personnes âgées secourues ne cessant de croître, les trois amis louent une maison, Le Grand-en-Bas. Douze femmes âgées, en comptant celles déjà accueillies, l’occupèrent. Si les amies de Jeanne apportaient leur aide et un peu d’argent, les vieilles femmes, autant qu’elles pouvaient, filaient la laine ou le lin. On vendait le fruit de leur travail, et cela aidait à la subsistance du groupe. Mais très vite le local s’avère insuffisant.
Alors, avec l’aide de l’abbé Le Pailleur, Jeanne acquiert l’ancien couvent des Filles de la Croix, non loin de l’église paroissiale.
Poussée par les bonnes vieilles qui lui disaient : « Sœur Jeanne, remplacez-nous, quêtez pour nous… », et encouragée par les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, elle se met à quêter. « Cela me coûtait, avouera-t-elle plus tard, mais je le faisais pour le bon Dieu et pour nos chers pauvres ». On raconte qu’un jour un vieux célibataire, irrité, la gifla. Elle répondit doucement : « Merci ; la gifle est pour moi. Maintenant, donnez-moi pour mes pauvres, s’il vous plaît ! »
Jeanne se fit donc chercheuse de pain. Elle demandait de l’argent, mais aussi des dons en nature : nourriture, objets, vêtements. Quand c’était trop dur, elle s’encourageait. Elle disait à sa compagne : « Marchons pour le bon Dieu ! » Ou bien, un jour de fête, à Saint Servan, avec un de ces demi-sourires qui lui étaient familiers : « Aujourd’hui, nous allons faire une bonne quête, parce que nos vieillards ont eu un bon dîner. Saint Joseph doit être content de voir que ses protégés sont bien soignés. Il va nous bénir ! »
Par cette démarche de la quête, Jeanne faisait de l’évangélisation qui mettait la conscience en question, et invitait à un changement de cœur.
Cette vie de quêteuse, Jeanne la mena presque sans discontinuer de 1842 à 1852, pendant dix ans. Et jamais elle ne fut déçue par Celui en qui elle avait mis toute sa confiance. A l’étonnement de tous, le nombre des pauvres vieillards croissait sans cesse. Le premier homme avait été accueilli pendant l’hiver 1842-1843. Ils étaient bien traités et heureux. On agrandissait la maison et on allait en acquérir d’autres… avec rien, sans aucune ressource assurée. Aucune autre explication que l’inlassable quête de Jeanne, l’effort collectif de toute une cité stimulée par elle, et sa foi en l’indéfectible amour de Dieu pour ses pauvres. [1]