Jeanne a quarante-sept ans. Nous sommes au début de l’hiver 1839. Les vents froids du nord soufflent de la mer. Jeanne découvre la détresse d’une vielle femme aveugle et infirme, laissée à elle-même. Avant, elle était assistée par sa propre sœur ; mais celle-ci, malade, vient d’être hospitalisée : la situation d’Anne Chauvin est désespérée. Le cœur de Jeanne s’émeut. C’est l’heure de Dieu. Dans un élan du cœur, Jeanne décide de prendre avec elle cette pauvre femme. Avec l’accord de ses deux compagnes, elle l’accueille chez elles. On raconte que Jeanne, pour lui faire gravir l’étroit escalier de la maison, la porta sur son dos… Jeanne lui donne son lit et monte au grenier pour aller dormir. Et elle « l’adopta pour sa mère ».
Ce geste est le geste fondateur. Il est simple. Il est humble. Il ne fait pas de bruit. IL se passe dans une pauvre mansarde. Mais ce geste est le signe du souffle de Dieu qui s’engouffre dans un cœur et lui donne de se rendre disponible à la détresse et à la solitude d’une humanité souffrante. Une grande aventure commence.
En effet, une autre femme âgée, Isabelle Cœuru, vint rejoindre Anne Chauvin. Elle avait servi jusqu’au bout ses vieux maîtres tombés dans la misère, avait dépensé pour eux ses propres économies, puis avait mendié pour les faire vivre. Ils étaient morts, et elle demeurait épuisée et infirme. Jeanne apprit cette belle histoire de fidélité et de partage. Et sans plus tarder, elle l’accueillit au logis ; cette fois, c’est Virginie qui donna son lit et monta s’installer au grenier.
Le soir, après avoir soigné leurs protégées, Jeanne et Virginie montaient l’échelle qui menait à leur grenier ; et ôtant leurs souliers pour ne pas faire de bruit, elles achevaient leurs tâches et leurs prières avant de se coucher.
Une amie de Virginie Trédaniel, Marie Jamet, vient leur apporter son aide. Elle ne tardera pas à s’adjoindre au groupe. Une autre jeune fille, Madeleine Bourges, accueillie comme malade, devient, une fois guérie, une aide précieuse. C’est une vraie contagion de la charité.
Ainsi, peu à peu, au rythme de l’Esprit Saint, une association charitable se forme. Cette petite association se donnera un règlement de vie inspiré du tiers-ordre fondé par saint Jean Eudes et auquel participait Jeanne Jugan.
Cette petite communauté, avec son projet de vie, trouve un soutien en la personne d’un jeune vicaire de la paroisse de Saint Servan, l’abbé Le Pailleur, qui devient leur conseiller. Entreprenant, ingénieux, habile, il était lui-même attentif aux pauvres gens ; il pensa qu’il fallait soutenir ce qui pouvait être le commencement d’une œuvre. Il sera un appui efficace, mais il sera aussi pour Jeanne la source de grandes épreuves. Nous le verrons dans la, suite du film de la vie de Jeanne.
Pour l’instant rendons grâce pour ce petit rameau qui vient d’être planté et qui peu à peu va grandir par la grâce de Dieu. Autour des deux femmes âgées accueillies par Jeanne, une petite cellule était née : c’était l’embryon d’une grande congrégation qui s’appellerait, bien plus tard, les Petites Sœurs des Pauvres. [1]